Les CLT peuvent-ils jouer un rôle dans la politique climatique ?
La contribution suivante a été rédigée par Geert De Pauw, coordinateur du Community Land Trust Brussels, dans le cadre du séminaire en ligne “Using CLTs to Deliver Energy Renovation and Permanent Affordability to Existing Housing” qui se tiendra le 25 septembre.
Le Community Land Trust Brussels (CLTB) est une organisation à but non lucratif qui développe des logements abordables pour les familles à faibles revenus à Bruxelles avec le soutien du gouvernement régional. Comme pour beaucoup d’autres CLT en Europe, l’accent est mis sur les nouveaux projets de construction. À ce jour, le CLTB a construit un peu plus d’une centaine de logements répartis sur six projets. Le même nombre de logements est en cours de construction. Le CLTB souhaite ainsi apporter une réponse au besoin de logements plus abordables dans la région.
La construction de nouveaux bâtiments (ou la rénovation lourde de bâtiments plus grands) s’est avérée être une bonne stratégie pour mettre sur le marché des logements abordables d’une manière relativement efficace. Cette approche permet également au CLTB d’impliquer collectivement les futurs résidents dans le développement du logement, ce qui constitue la base de la construction communautaire de notre organisation.
Toutefois, on peut s’interroger sur l’opportunité à long terme de continuer à se concentrer uniquement sur les nouvelles constructions. Cette option peut entrer en conflit avec les objectifs de durabilité de notre organisation. La suppression de parcelles non construites dans une région déjà densément bâtie peut parfois soulever des questions. En raison du changement climatique, la ville a de plus en plus besoin de conserver des terrains non bâtis pour jouer un rôle dans la gestion de l’eau, le refroidissement, la biodiversité ou les loisirs. En outre, les matériaux de construction nécessaires à la construction de nouveaux logements sont responsables de l’émission d’une grande quantité de CO2.
La crise du logement à Bruxelles, la réponse du gouvernement et l’approche CLT
En plus de nos propres objectifs de durabilité, nous devons également tenir compte des nouvelles stratégies et politiques gouvernementales qui rendront de plus en plus difficile la construction de nouveaux bâtiments sur des terrains vierges, dans une région déjà densément peuplée comme Bruxelles.
Dans le même temps, la crise du logement continue de s’intensifier. De plus en plus de familles sont contraintes de quitter Bruxelles parce qu’elles ne peuvent y trouver un logement abordable. Celles qui restent doivent souvent se contenter de logements trop petits, insalubres et trop chers. En effet, les gouvernements belge et bruxellois ont très peu investi dans le logement social, laissant les habitants presque entièrement dépendants du marché privé, où les prix n’ont cessé d’augmenter au cours des 20 dernières années.
S’il n’y a pas eu d’investissement dans le logement social, le gouvernement a encouragé l’accession à la propriété. Par le biais de divers instruments, il a aidé les ménages modestes à acheter une maison. Cela a permis à de nombreuses familles pauvres d’accéder à un logement, jusqu’à ce que la hausse des prix rende la chose impossible.
Aujourd’hui, les propriétaires pauvres existants risquent également de se retrouver en difficulté. Le parc immobilier de Bruxelles est ancien et peu économe en énergie. Pour atteindre ses objectifs en matière de climat, la Région bruxelloise a élaboré une stratégie ambitieuse appelée “Renolution“. Un volet important de cette stratégie consiste à rendre les logements privés économes en énergie. Pour encourager les propriétaires à investir dans la rénovation de leur logement, le gouvernement bruxellois prévoit, entre autres, des amendes importantes pour les mauvais payeurs. Cette mesure pourrait avoir des conséquences désastreuses. Le danger est qu’elle conduise à une situation où seuls des résidents ou des investisseurs fortunés pourront posséder des logements dans des quartiers qui sont restés relativement abordables, et que la Région bruxelloise soit confrontée à une “gentrification verte”.
Pour toutes ces raisons, le CLTB a décidé de diversifier son approche et de s’engager également dans la rénovation de logements privés. Nous pensons que les CLT ont le potentiel de fournir une réponse, à Bruxelles et dans d’autres villes européennes, au double défi du besoin de logements abordables en permanence et de la nécessité de rénover le parc immobilier existant de manière durable et de le rendre efficace sur le plan énergétique.
Projets pilotes et partenariat avec le Upcycling Trust
Aujourd’hui, les instruments publics existants qui visent à encourager les propriétaires à rénover leurs logements et à les rendre énergétiquement efficaces n’atteignent pas les propriétaires les plus pauvres. Ces propriétaires, “riches en actifs, pauvres en liquidités”, n’ont pas les moyens de financer les travaux en prévision des subventions et ont des difficultés avec l’administration pour demander les subventions. Le CLTB souhaite à présent examiner s’il est possible d’élaborer un nouvel instrument politique permettant d’aider ces propriétaires par le biais d’un accompagnement très intensif et d’une intervention financière très importante. De cette manière, ils peuvent améliorer la qualité de leur logement, répondre aux nouvelles exigences et éviter les amendes, et retrouver la sécurité du logement. En retour, leur logement devient un logement CLT, ce qui le rend abordable pour toujours. En effet, dans notre modèle, le propriétaire accepte les conditions typiques du CLT en ce qui concerne l’utilisation et les plus-values lors de la vente du logement.
Nous pensons qu’un tel instrument serait un complément important aux instruments gouvernementaux existants que sont les prêts et les subventions. Il a le grand avantage d’aider les plus vulnérables et d’apporter une solution à la partie du parc immobilier où les problèmes sont les plus importants. De plus, cette approche augmente l’offre de logements abordables en permanence, dans une ville où la grande majorité du parc immobilier est à la merci du marché libre et non réglementé. En outre, nous y parvenons sans supprimer de terrains non bâtis.
Pour y parvenir, il est important de convaincre le gouvernement. Pour ce faire, nous avons lancé un projet pilote à Bruxelles. Après un an de travail sur les procédures et les modèles juridiques, les deux premiers propriétaires sont sur le point de signer pour entrer dans le programme.
Constatant que nous n’étions pas les seuls à penser de la sorte, nous avons pris l’initiative de réunir d’autres CLT européens ayant des idées similaires. Avec nos collègues de la ville de Lille, en France, nous coordonnons actuellement le projet “Upcycling Trust“, financé par l’UE. Avec les CLT de Cork (Irlande), Gand (Belgique), Lille (France) et Rennes (France), nous voulons tester cette nouvelle stratégie de recyclage et utiliser une approche circulaire de la rénovation. Nos CLT mettront en place des projets pilotes dans lesquels des stratégies juridiques, organisationnelles, techniques et financières seront développées, et les premières maisons seront rénovées. Quelque 150 familles à faibles revenus pourront ainsi vivre dans ces logements, tout en réduisant l’impact sur l’environnement. Sur la base des expériences des projets pilotes, et en impliquant les autorités locales et régionales ainsi que des partenaires universitaires, nous utiliserons nos résultats pour développer une nouvelle politique urbaine. Dans un contexte où de nombreuses villes sont à la recherche de stratégies pour résoudre la crise du logement, renforcer le tissu urbain et atteindre les objectifs climatiques, le modèle d’upcycling trust offre une approche innovante et structurelle qui peut accélérer une transition urbaine juste. Compte tenu des ambitions climatiques de l’Europe, nous pensons que ce projet financé par l’UE est l’occasion idéale de tester l’approche et de préparer son déploiement.
Le CLTB souhaite également essayer d’autres nouvelles méthodes. Par exemple, en septembre, nous lancerons l'”auto-rénovation guidée” de trois maisons. Cela permettra aux futurs propriétaires de réaliser eux-mêmes une partie de la rénovation de leur futur logement, ce qui en réduira le coût.
Défis d’échelle et avenir des CLT
Aussi prometteuses que soient toutes ces nouvelles méthodes, elles n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. Leur mise à l’échelle nécessitera beaucoup d’argent et de temps. Elles ne constituent certainement pas la réponse définitive au défi décrit ci-dessus, qui consiste à trouver des solutions à la crise du logement en nuisant le moins possible à l’environnement. C’est pourquoi, dans le même temps, nous restons attachés à la construction de nouveaux logements. Nous préférerions le faire d’une manière plus circulaire, même si pour cela nous devons encore chercher des solutions de financement innovantes qui nous permettent de couvrir le coût supplémentaire d’une telle méthode de travail.
Malgré ces limites, nous croyons fermement au potentiel de l’approche Upcycling Trust. En donnant aux fonds fonciers communautaires un rôle dans la politique climatique et en convertissant la propriété privée en propriété communautaire non spéculative, une partie du marché du logement peut être réformée de manière structurelle. Si cela est fait à grande échelle, cela pourrait jouer un rôle central pour rendre nos villes plus agréables à vivre tout en restant abordables.